Chapitre 22
Kaderin se jeta sur Sébastian, qu’elle fit tomber dans la poussière.
Embrasse-le vite, c’est le marché. Qu’il déplace les rochers, noms des dieux ! Elle attrapa le visage stupéfait du vampire et colla les lèvres aux siennes.
Allez, hop. C’était juste pour obtenir ce qu’elle voulait. Dépêche-toi !
— Voilà, je t’ai embrassé.
Elle haletait.
— Maintenant, enlève-moi ces saletés de rochers…
Deux grandes mains se posèrent rudement sur ses fesses pour la plaquer contre une verge gonflée – déjà. Un petit gémissement lui échappa. Une des mains se détacha de son derrière, l’attrapa par la nuque et lui fit baisser la tête. Sébastian s’empara de sa bouche puis y glissa la langue, pendant que son autre main s’insinuait entre ses cuisses, épousant son sexe. Elle poussa une exclamation de surprise contre les lèvres de son compagnon, mais ses jambes s’écartèrent d’elles-mêmes pour favoriser l’exploration.
Il se mit à frotter et à palper la chair tendre à pleine paume, un grondement au fond de la gorge, sans cesser d’embrasser Kaderin avec une sorte de désespoir, un peu comme un héros condamné aux galères voyant sa fiancée pour la dernière fois.
Une seconde plus tard, ils se roulaient par terre, suants, alors que les monstres allaient attaquer d’un instant à l’autre ; l’épée de Sébastian cognait régulièrement la hanche de Kaderin… mais elle n’arrivait pas à se rassasier de lui.
Il la fit basculer sur le dos, ce qui lui rappela leur rencontre au château. Elle était d’ailleurs aussi excitée que ce matin-là.
— Tu me rends dingue, Katia, souffla-t-il de sa voix rauque. Je n’arrête pas de penser à toi.
Couché sur le flanc, il se pencha pour passer sa bouche entrouverte sur sa clavicule, en lui tenant les poignets réunis au-dessus de la tête.
— Dis-moi que tu penses à moi, supplia-t-il.
Son autre main descendit en tremblant vers la braguette de Kaderin. Elle aurait pu souffler ce qu’il voulait à son oreille, pendant qu’il lui caressait le ventre. Tremblait-il d’anticipation à l’idée de ce qu’il allait faire ? Lorsqu’il entreprit de lui ouvrir son pantalon, elle se dégagea brusquement… mais pas pour se débattre, non, pour l’aider.
« C’est normal, songea-t-elle dans une sorte de délire. Après tout, je suis en train de lui fourrer la main dans le slip. » Quand ses doigts effleurèrent le sexe imposant de Sébastian, elle ne put retenir un gémissement, tandis qu’il hurlait, la tête rejetée en arrière, incapable de maîtriser un coup de reins instinctif. Il était brûlant, doux, dur comme du fer. Kaderin promena le pouce sur le bout de son sexe en un cercle humide. Il posa sur elle des yeux noirs de désir.
— Il faut qu’on s’arrête, murmura-t-elle en passant le poing sur toute la longueur de son érection. Les basilics…
— … sont des monstres terribles, comme le veut la tradition. Je n’en doute pas.
Après un baiser brûlant, quoique rapide, il la regarda de nouveau dans les yeux et ajouta :
— J’aimerais que tu continues à… me caresser.
Elle continua. À croire qu’elle avait la main aimantée. Quel plaisir de sentir la verge ardente palpiter et tressaillir à son contact… Sébastian semblait sur le point de perdre le contrôle de lui-même, mais il prit le temps de titiller le ventre de Kaderin, avant de descendre vers son sexe. Elle aurait aimé quelque chose de passionné, qui lui aurait apporté un soulagement rapide, alors qu’il cherchait visiblement à savourer chaque seconde de ce moment.
Au moment précis où il allait glisser la main dans sa culotte, il se figea. Elle se tortilla pour faire descendre la paume immobilisée sur son bas-ventre.
— Stop, murmura-t-il.
Puis il secoua la tête, décidé à s’éclaircir les idées. Elle se cambra afin de regarder derrière lui.
Une cinquantaine de mètres plus loin, des yeux verts bridés, aussi gros que des ballons de foot, brillaient dans le noir.
Sébastian expira longuement.
— Le moment n’est pas aussi bien choisi que je l’aurais souhaité.
— Quel sens de la litote !
Était-ce bien elle qui s’exprimait sur ce ton amusé, alors qu’elle se trouvait dans une caverne étouffante, en compagnie de cruels dragons tout prêts à lui souffler dessus, les longs doigts d’un vampire sur le point de s’introduire en elle ?
— Mais tu n’as pas l’air terrifié, comme le veut la tradition.
Son envie de rire s’évanouit instantanément à la réponse de son compagnon :
— Désolé, Katia, mais il va falloir que je glisse avec toi.
Elle retira brutalement sa main du pantalon de Sébastian, sa main à lui de son propre pantalon, puis roula sur le flanc.
— Je vais les retenir pendant que tu pousses les rochers.
Déjà, elle s’était relevée, refermait sa braguette et dégainait son épée.
Le plus grand des basilics s’approcha, sans doute persuadé d’avoir affaire à deux captifs. Les gigantesques lézards avaient un dandinement trompeur, avantage biologique qui rendait leurs proies moins méfiantes. Le tunnel n’était pas assez large pour leur permettre de progresser côte à côte, mais une fois dans la caverne, ils pourraient attaquer de front. Sébastian s’assit.
— Ça ne marchera pas.
— Je t’ai embrassé, bordel ! Si ça tourne mal, tu n’auras qu’à glisser avec moi, mais en attendant, essaie de pousser les rochers. Sinon, c’est une rupture de contrat.
— D’accord. Contre un autre baiser. Plus tard. On terminera ce qu’on a commencé…
— Tu la joues marchand de tapis ?
Il ne comprit visiblement pas l’expression, mais insista :
— Je t’aide à sortir, à condition que tu acceptes d’aller dans un endroit sombre une heure après avoir récupéré l’œuf.
Qui était donc cet homme d’affaires impitoyable ?
— D’accord. (Pas sympa du tout.) Marché conclu. (Je mens comme une arracheuse de dents.) Maintenant, bouge tes fesses et pousse.
Il secoua de nouveau la tête, se leva, jaugea la démarche lente mais régulière de la bête puis s’approcha des rochers.
Kaderin aurait dû se préparer au combat en examinant les écailles cramoisies du premier basilic, à la recherche d’une faiblesse, mais son esprit saturé de désir n’était capable de se concentrer que sur les muscles superbes du dos viril qui se gonflaient sous l’effort, au risque de déchirer la chemise noire. Elle les aurait volontiers palpés, griffés, léchés…
Alors qu’elle aurait dû penser à la sirène, à la Quête… Voire aux dragons, hein, qu’est-ce que tu en dis, ma grande ?
Le monstre s’approchait lentement ; elle distinguait à présent les yeux du suivant, juste derrière. Dès que les rochers bougeraient, ils passeraient à l’attaque.
Elle n’en continuait pas moins à regarder par-dessus son épaule. Regina lui avait demandé quel était son genre d’homme. Lorsque Sébastian se retourna pour pousser l’éboulis de dos, dévoilant sous sa chemise imbibée de sueur des abdominaux parfaitement dessinés, elle admit la vérité en son for intérieur.
Apparemment, elle avait un faible pour les vampires d’une beauté ravageuse, aux cheveux noirs et aux yeux graves. Avec quelques cicatrices et des mains rudes. Elle se mordit la lèvre. Si elle s’obstinait à fixer ce corps puissant, sculptural, elle risquait de jouir spontanément.
— Je n’aurais jamais cru dire un jour une chose pareille à ma fiancée, mais il va falloir te concentrer, Katia.
La manière dont elle le contemplait – un petit croc pressé contre une lèvre pulpeuse, les yeux virant par instants à l’argenté – le rendait fou, tout simplement.
— Oui… oui, bien sûr.
Elle fit volte-face en ajoutant :
— Je m’occupe de celui-là.
Un dernier coup d’œil à Sébastian, puis elle lâcha un juron.
— Écoute, ils vont attaquer tous les trois à la seconde où l’éboulis va s’effondrer. Ça va aller très vite. Il faudra que tu glisses immédiatement.
— Ils ont l’air plutôt lents.
— C’est une feinte, répondit-elle sans se retourner. Tu glisses pendant que je me jette dehors, d’accord ?
— Ils te poursuivront, non ?
— Ils n’y voient pas très bien en plein jour.
— Ça ne va pas tarder. Écarte-toi…
Un rayon de soleil transperça l’obscurité telle la lumière d’un phare. Heureusement, on était en fin de journée, mais Sébastian se jeta tout de même de côté – en laissant à sa compagne la place de bondir vers le trou. Elle fonça, pendant que les basilics chargeaient à une vitesse ahurissante à travers la caverne, toutes griffes dehors.
Le plus gros s’écrasa contre l’éboulis dans le sillage de la jeune femme. Une explosion de poussière et de débris dissimula la scène à Sébastian, mais un grand claquement de dents résonna à ses oreilles. Une seconde plus tard, heureusement, il entrevit Kaderin qui esquivait des crocs énormes, lesquels claquèrent de nouveau à un cheveu de sa tête.
Il se jeta par terre, au soleil, pour l’attraper par la cheville en ravalant un rugissement de douleur, mais à l’instant où il glissait, elle lui balança un coup de pied en pleine figure et réussit à se dégager.
Il se téléporta donc sans elle – incapable de s’en empêcher –, mais fit aussitôt demi-tour, en restant quasi immatériel. La lumière du jour lui brouilla malgré tout la vue et lui brûla la peau comme un bain d’acide. Le gros basilic avait disparu. Kaderin se tenait sur la pointe des pieds à l’extrême bord d’une falaise, cambrée pour éviter de tomber dans le vide. Avant que Sébastian ait pu la rejoindre, elle reprit son équilibre en se faufilant le long de la corniche. Avait-elle attiré le monstre dans un piège afin de le faire basculer dans le gouffre ?
Les deux autres lézards s’aventuraient dehors en clignant des yeux et en poussant de longs sifflements. Sébastian esquiva leurs coups de griffes puis glissa jusqu’au fond de la caverne, dans le noir, d’où il les appela.
Lorsque les monstres atteignirent le tunnel, il se laissa tomber sur le dos sous le plus imposant pour lui planter son épée dans le ventre. Un coup meurtrier, porté entre des écailles aussi grosses que des assiettes. Une éviscération. Il retira brutalement sa lame en roulant de côté pour éviter d’être écrasé.
Le basilic lâcha un rugissement humide et tomba en arrière contre son congénère. Sébastian bondit sur ses pieds puis glissa jusqu’à la dernière des créatures, qui se débattait pour se dégager, creusant frénétiquement le sol de ses griffes. Il leva son épée au-dessus du cou imposant.
Le basilic se figea puis tourna lentement la tête vers lui, avant de cligner de ses yeux bridés où se lisait la peur.
Kaderin l’aurait déjà tué, sans doute – et elle considérerait probablement la compassion de son défenseur comme une faiblesse.
— Tant pis, murmura-t-il en se téléportant jusqu’à elle.
Il ne reviendrait pas plus tard dégager le monstre !
Retour au soleil, à chercher sa fiancée partout, alors que sa peau risquait de prendre feu. La douleur était atroce, mais il repéra du coin de l’œil une caverne, au-dessus du ravin, et y glissa en faisant de son mieux pour ne se matérialiser qu’à demi.
Même à l’entrée de la grotte, la lumière réfléchie par le sable et les rochers mettait à rude épreuve ses yeux brûlés, mais sous cette forme, il tiendrait bien une minute ou deux.
Le gros basilic se tortillait au fond de la gorge, la tête écrasée contre un rocher. Kaderin se tenait toujours sur la corniche. Sébastian allait l’appeler et lui reprocher rageusement son coup de pied quand elle se figea, le regard rivé sur quelque chose dans le ravin. Il vit son visage se glacer. Un prédateur. Il n’y avait pas d’autre mot pour la décrire, à ce moment-là.
Elle se mit à courir en balançant les bras, gagnant tant de vitesse qu’elle en devint floue, littéralement. Il cligna des yeux à cause de la lumière, incapable de croire à ce qu’il voyait : elle se précipitait vers le dragon.
Sébastian glissa jusqu’à une autre corniche, juste à temps. La sirène laissa échapper un cri de surprise, quelques mètres plus loin… une seconde avant que la Valkyrie ne lui atterrisse sur le dos, lui vidant les poumons en une violente expiration parfaitement audible. Déjà, son assaillante lui plantait les genoux dans les omoplates et lui passait brutalement un bras autour du cou.
Sébastian venait de décider de braver le soleil pour téléporter Kaderin, quand l’adversaire de celle-ci expédia vers le haut un coup de coude… que la Valkyrie réussit à esquiver en sautant à terre. À vrai dire, elle esquivait tous les coups de Lucindeya. Elle n’avait aucun besoin d’aide.
Alentour, des vagues de chaleur bouillonnantes s’élevaient des rochers. La scène de bagarre déformée par cette brume sidérait Sébastian, à cause de la puissance que recelait le corps gracieux de la Valkyrie.
De sa méchanceté absolue, aussi.
Elle attrapa Lucindeya par les cheveux, tira pour la faire tourner en rond de plus en plus vite, jusqu’à ce qu’elle ne touche plus le sol, puis la lâcha comme on lâche des bolas, les doigts écartés.
La sirène s’écrasa contre la falaise avec une violence telle que la roche s’effrita ; quand elle tomba à terre, une pluie de pierres s’abattit sur elle. Kaderin ne perdit pas de temps à la regarder disparaître sous l’averse, mais leva la tête vers la montagne voisine et se remit à courir, bondir, planter les griffes dans la paroi minérale pour commencer à grimper vers une caverne très élevée. La grotte la plus proche du sommet… une grotte obscure… recelait sans doute l’œuf convoité. Sebastian n’aurait aucun mal à y arriver le premier. Il pressa sa manche contre sa lèvre fendue. Le goût du sang dans la bouche, à cause du coup de pied.
Sa fiancée serait au rendez-vous, en fin de compte.
Les termes du marché venaient juste de changer.